L'Eolika, un cargo battant pavillon guyanais, avait déjà été retenu dans le port de la capitale sénégalaise, Dakar, en raison des déclarations « incohérentes ».
Les autorités de ce pays de l'Afrique de l'Ouest ont alors fouillé le navire, saisissant trois conteneurs de munitions de fabrication italienne d'une valeur estimée à 5 millions USD.
Selon les premiers témoignages, les autorités portuaires de La Spezia ont autorisé l’acheminement de cette cargaison en direction de la République dominicaine.
Mais au moment de la rédaction du présent article, on ne savait toujours pas pourquoi ce navire a fait une escale inattendue à Dakar, ce qui a incité les organisations de la socité civile à appeler à plus de transparence sur ce transfert.
Cette expédition met en évidence les ambiguités qui caratérisent le commerce international des armes légères est empreint d'ambiguïté. Les statistiques disponibles ne rendent pas compte de tous les transferts réels (par opposition aux transferts déclarés).
Il est pourtant important de pouvoir mesurer l'ampleur de ce commerce.
Notre organisation, le Small Arms Survey (Enquêtes sur les armes légères), gère une base de données sur la transparence des transferts d'armes légères autorisés dans le monde : le Baromètre de la transparence du commerce des armes légères.
Lancé en 2003, le Baromètre présente annuellement des rapports des États actualisés sur les exportations d'armes, afin d'évaluer la transparence des principaux exportateurs mondiaux d'armes légères et de petit calibre, et de leurs pièces, accessoires et munitions.
Un commerce qui manque de transparence
Selon l’édition 2021, les 50 exportateurs examinés ont obtenu en moyenne 12,61 points sur un score maximal possible de 25.
Même si ce score a légèrement augmenté par rapport à 2020, il reste faible, ce qui montre que la communauté internationale a encore un long chemin à parcourir en matière de promotion de la transparence du commerce des armes.
La qualité des données sur le commerce des armes légères en Afrique ne fait pas exception. Les informations sur les transferts de munitions vers le continent sont particulièrement rares.
Notre analyse des tendances 2020 du commerce mondial autorisé des armes légères, Trade Update (Données actualisées sur le commerce) 2020 : An Eye on Ammunition Transfers to Africa (Un œil sur les transferts de munitions vers l'Afrique), a montré que les importations africaines de munitions s'élevaient à 97,7 millions USD en 2017, soit 42 % des importations totales d'armes légères du continent.
Le tableau n’est pas complet : l'ampleur des transactions provenant des exportateurs les moins transparents est particulièrement difficile à évaluer.
Des recherches sur le terrain concernant les munitions utilisées dans les zones de conflit et les registres d'exportation compilés par des entités commerciales révèlent des transferts de munitions plus importants que ce que déclarent les États africains et leurs partenaires commerciaux.
De l'autorisation au détournement
L’édition de Trade Update 2020 décrit aussi partiellement de quelle façons les transferts autorisés peuvent par la suite se retrouver entre les mains de groupes armés non autorisés.
Un tel « détournement » peut se produire lorsque des utilisateurs finaux déclarés participent à des transfers nouveaux non autorisés.
Il arrive aussi souvent que des groupes armés et des criminels parviennent à s'emparer de stocks nationaux ou à récupérer des armes sur le champ de bataille, parfois peu de temps après la livraison de ce matériel aux entités étatiques.
À titre d’exemple, en 2014, le groupe d'experts des Nations unies chargé de superviser l’application de l'embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (RDC) a indiqué la présence de munitions pour mitrailleuses lourdes dont les marques correspondaient à une fabrication chinoise, dans des caches d'armes de groupes armés dans la province du Nord-Kivu du pays.
Dans son rapport de 2015, le groupe d'experts a établi que ces munitions faisaient initialement partie d'une livraison de 2012 pour des munitions de 12,7 × 108 mm en provenance de Chine, destinées aux Forces armées de la RDC.
Ce transfert n'était pas transparent dans la mesure où il n'avait pas été notifié au Comité des sanctions de l'ONU ; il a donc violé les procédures de dérogation prévues dans le cadre de l'embargo sur les armes à destination de la RDC.
Cette affaire illustre la vitesse à laquelle – en moins de deux ans – des transferts de munitions non déclarés peuvent être détournés vers la sphère illicite.
Effets destabilisateurs
Les nouveaux flux illicites d'armes et de munitions alimentent les réseaux de trafic existants qui, en Afrique de l'Ouest, contribuent à alimenter les conflits et l'instabilité de plusieurs manières.
Les recherches effectuées par Small Arms Survey dans la région tri-frontalière du Burkina Faso, de la Côte d'Ivoire et du Mali, par exemple, ont prouvé l’augmentation des activités de contrebande et de trafic due à la demande locale croissante de marchandises illicites et d'armes à feu.
Cette demande est alimentée par le banditisme, le besoin d'autodéfense des communautés, la dépendance des chasseurs traditionnels vis-à-vis des armes à feu, mais aussi l'exploitation artisanale et à petite échelle de l'or.
Ce commerce en plein essor remet en question la capacité des États à surveiller et à contrôler leurs frontières.
Plusieurs gouvernements de la région ont cherché à contenir et à faire face à l'insécurité en s'appuyant davantage sur les groupes d'autodéfense locaux pour assurer la protection des communautés, suscitant alors des inquiétudes quant au risque de recours excessif à la force, de punitions sévères, voire d'exécutions extrajudiciaires.
Les itinéraires de trafic régionaux s'étendent également bien au-delà des frontières locales et relient le golfe de Guinée au Sahara dans le nord et à l'Afrique centrale et orientale (voir la carte).
Certaines des principales plaques tournantes de la contrebande se situent dans la région saharo-sahélienne, qui a été particulièrement touchée par les conflits et les attaques des principaux groupes armés désignés comme étant des terroristes.
Les réponses axées sur la sécurité en réaction à ces menaces ont également montré leurs limites car elles ont tendance à affecter les moyens de subsistance des communautés locales qui dépendent du commerce transfrontalier informel.
Elles risquent également d'inciter les passeurs à s'impliquer dans le trafic et dans d'autres activités illicites pour gagner leur vie.
Bien que les liens spécifiques entre le trafic d'armes et l'insécurité soient complexes et dépendent du contexte, il est clair que les transferts illicites vers l'Afrique peuvent rapidement atteindre les pays et régions touchés par l'insécurité et la violence armée.
Parvenir à une plus grande transparence dans le commerce des armes légères et des munitions entraînerait une surveillance plus efficace et plus indépendante du commerce légal, ce qui contribuerait à son tour à empêcher son détournement vers des utilisateurs non autorisés et des trafiquants.
Emilia Dungel, Coordinatrice de la communication et Rédactrice en chef du Small Arms Survey, a contribué à la rédaction de cet article.
Nicolas travaille pour le Small Arms Survey (Enquête sur les armes légères), une organisation qui génère et fournit une expertise sur tous les aspects des armes légères et de la violence armée. C'est un programme de l'Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, en Suisse. En 2021, le Small Arms Survey a reçu un financement sans restriction de l'Australie, de la Finlande, de la Suède et de la Suisse. Il a obtenu un soutien destiné à des projets spécifiques de l'Union européenne, de la France, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Suède, de la Suisse, des États-Unis, du Fonds d'affectation volontaire du Traité sur le commerce des armes. Il a aussi bénéficié de contrats de prestation de plusieurs agences des Nations unies. Nicolas est également membre du Conseil consultatif de recherche du réseau RESOLVE, du Conseil consultatif de Geneva Peacebuilding Platform (Plateforme de Genève pour la consolidation de la paix) et du Conseil d'administration de la Fondation du Prix Henry Dunant.
Alaa Tartir does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.